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1. Chanter avec des femmes.

La présence de femmes dans les unités de combat oblige à aborder l’intégration de la voix féminine. Historiquement, les soldats chantent à l’unisson et le chant militaire a un caractère martial et viril. Les femmes n’ayant pas le même registre, elles chantent naturellement plus aigu, et les soldats chantant ordinairement à l’unisson, faire chanter les femmes impose de répartir les voix et nécessite quelques compétences musicales.

Deux solutions :

1. Les femmes chantent la voix principale à l’octave supérieure, donc des barytons, en arrivant à se fondre avec un registre d’alto sans que leur timbre n’apparaisse. C’est la solution la moins dénaturante pour un chœur, mais qui condamne les femmes à une retenue permanente, peu satisfaisante pour elles.

2.?Les femmes rejoignent les voix de ténors, les dites “secondes voix”. En chantant dans le grave de leur registre, elles rejoignent l’aigu des voix d’hommes, mais ça n’est pas constamment possible et cela suppose que l’on imagine des contre-chants pour tout le répertoire. Un travail d’écriture à faire qui n’a pas encore été expérimenté.

Toutefois, on constate que les femmes connaissent leur voix, sont à l’aise avec, aiment chanter et le font souvent mieux que les hommes.

 

2. Répartition des voix.

Traditionnellement, le chœur militaire à la française se divise idéalement en basses, barytons et ténors, la voix principale étant aux barytons.?Les ténors, appelés souvent un peu à tort, “secondes voix”, étant à la tierce supérieure (3 degrés au-dessus). La voix de basse est pour l’instant peu présente dans nos chants militaires excepté dans les chants de promotion. Peut-être faudra-t-il rajouter les voix d’alto (ou ténor aigu) si l’expérience avec des voix de femmes est convaincante.

Disposition.

La disposition en répétition est souvent l’arc de cercle autour du chef, mais il faut aussi penser à répéter en formation de défilé, en ayant formé le toit, car alors les voix ne sont plus disposées par affinité, ce qui peut déstabiliser certains.

La répartition des voix dépendra du chef. Certains préfèrent avoir les voix aigües à droite, comme devant un clavier; D’autres, à gauche, comme devant un orchestre. En défilé, il est souvent préférable d’avoir les secondes et troisièmes voix à l’arrière du peloton.

Il faut veiller à ne pas avoir trop de “secondes voix”, souvent plus puissantes et plus à l’aise, mais au timbre plus délicat, ce qui pourrait déséquilibrer le chœur. L’expérience montre qu’une proportion de 20 % de l’effectif est très correcte. 20 % pour les basses serait également idéal.

Ces conseils demandent un peu de pratique, la qualité de l’interprétation suivra et les parachutistes n’en seront que mieux respectés.

Gérard Eiselé

Chef du chœur de l’UNP-Centre

 

 

Il est utile de compléter ces conseils par ceux publiés dans les carnets de chants légionnaires à partir de l’édition 1985. Ils ont été rédigés par le capitaine Selosse en 1970 et s’adressent plus spécialement à un chef de section de la Légion, mais ils sont parfaitement valables pour d’autres unités.

 

Introduction

Képi blanc, dont l’un des buts permanents est de maintenir vivaces les vieilles traditions légionnaires, se devait de publier, fidèlement, les extraits suivants d’une note de service, parue, au début du mois de septembre1970, au détachement de Légion étrangère de Bonifacio. Ce texte sur le “chant de marche”, destiné aux instructeurs de formation des jeunes légionnaires, rappellera avec profit, même aux anciens, avec quels procédés, quelle conviction et quel respect des traditions doit être abordée la technique du chant de marche.

A la différence du chant de popote où la gaîté, la fronde et l’humour se répondent, du chant de bivouac aux accents parfois nostalgiques, toujours sentimentaux, le chant “de marche” a pour quadruple but de soutenir les énergies, d’affirmer la cadence, de fondre quarante timbres en un seul chant, ce qui éveille en chacun le sens profond de la collectivité, de donner à la superbe d’une troupe en mouvement un prolongement sonore qui la valorise.

Il n’est pas ici question de commenter son utilité, de vous persuader, s’il était besoin, de son influence bénéfique ni de justifier de son importance. Le fait est là. La Légion étrangère est, encore une fois, la troupe qui sait, qui doit, qui chante, le mieux au monde. Ce patrimoine flatteur doit être reçu avec fierté, certes, mais il nous appartient de le transmettre, non seulement sans le laisser se déprécier, mais aussi en y apportant — pourquoi non ? — encore plus de flamme, encore plus d’ampleur, encore plus de résonance.

 

Les chants de “marche” de la Légion étrangère.

Il y en a beaucoup. Les carnets de chants en usage en mentionnent la plupart. Leur texte est sacré malgré une certaine naïveté de style, malgré le vieillissement de certaines évocations, il ne peut être question d’en modifier la moindre rime. On chante les chants tels qu’ils sont créés pour toujours, ou on en créé de nouveaux, en priant le Dieu des Victoires qu’ils soient admis par tous et mènent très longtemps sur les routes les colonnes légionnaires, ce qui n’est pas toujours le cas.

Tous les chants de Légion ne sont pas des “chants de marche”, c’est l’évidence même. En conséquence, il appartient au chef de choisir les chants de marche qu’il apprendra à sa section, de même qu’il leur apprendra des chants de bivouac, certains étant d’ailleurs communs aux deux activités. Parmi les chants choisis, il retiendra tel ou tel comme “chant tonique”, c’est-à-dire stimulateur d’énergie, redresseur de traînard, etc. et aussi tel ou tel comme “chant de parade”. Ce (ou ces) chants de parade, travaillé, maintes fois ajusté jusqu’à parfaite exécution, sera chant de défilé, de rentrée au quartier, etc.

Car on ne franchit pas le proche d’une citadelle de Légion sur un air appris la veille. On réserve les hésitations. Les fausses notes, les corrections pour les buissons de Mucchio-Bianco. La population de la garnison, les touristes et les badauds agglomérés à l’entrée de nos quartiers et les connaisseurs de nos citadelles et de nos camps ne doivent assister au’à des récitals, pas à des avant-premières.

 

Comment apprendre un chant à ses légionnaires

D’abord on présente le chant, on l’explique, on le met en valeur, c’est un principe de base, dans tous les domaines, d’ailleurs.

Ensuite on fait entrer les paroles dans les cinquante “crânes”., vite sues par certains, longtemps anonées par d’autres.

Après de la, on fait plusieurs fois chanter l’air (la première vois — la mélodie de base) par le “spécialiste”, “l’homme à la voix d’or” de la section. Ce dernier peut être le chef de section, l’adjoint, un caporal, un fonctionnaire-caporal, ou n’importe quel légionnaire doué.

Puis le premier essai d’ensemble, section groupée en rond, au repos bien sûr. Travail de patience, d’enthousiasme car il en faut pour ne pas jeter son képi aux arbousiers.

Ensuite au garde-à-vous.

Ensuite en marquant le pas.

Ensuite au pas cadencé.

A ce moment vient le partage de la section en vois. “L’homme à la voix d’or” dirige l’opération, groupe les basses et les ténors, leur répartit judicieusement les voix, choisit les “hommes à la voix d’argent” qui coifferont ces groupes de voix. Chaque groupe s’entraîne à part, puis regroupement en rond : essai — reprises patientes. Le chef s’éloigne pour une audition d’ensemble, supprime le gueulard, encourage les modestes, fond, égalise, ajuste jusqu’à avoir un ensemble valable.

– Ensuite on perfectionne au jour le jour, en toute occasion.

– On répartit les voix dans les rangs : on fait le “toit” comme on fait le “toit des tailles”.

– Et le jour “J”, on entre dans le quartier sur une chanson presque parfaite et on voit (sans lever les yeux d’ailleurs) les fenêtres s’ouvrir, les sous-officiers sur le pas des portes des compagnies, les punis de prison même, distraits dans leur travail par “l’Evénement”.

Ce chant demeurera le chant de parade de la section X… jusqu’au jour où le chef de section aura décidé que tel nouveau chant le surpasse en qualité d’exécution

 

Les voix d’un chant de marche

D’abord tous les chants de marche ne sont pas chantés de la même manière : cela semble évident, mais peu souvent réalisé.

– Le “Mais le diable marche avec nous” est sarcastique.

– Le “Et quand un jour nous partirons” est profond.

– Le “Voici passer la Légion étrangère” est éclatant.

– Le “Le soleil dans les moissons” est léger comme un épi.

– Dans le chant “Les képis blancs” : le “la rue appartient” est orgueilleux, dense, écrasant.

– Le “Combien sont tombés” est grave, plus lourd, presque cassé.

– Enfin, par un réflexe de bon sens “Nous marchons gaiement en cadence” ne doit pas traîner dans son sillage toute la tristesse et la nostalgie des ports embrumés de la Baltique. Il doit être enlevé, entraînant et joyeux.

Compte tenu de ce que les voix basses correspondent aux tambours et les voix hautes aux clairons, il est évident que l’harmonie de l’ensemble proviendra d’une parfaite juxtaposition de ces voix, qui se répondent, se complètent, se fondent parfois en un chœur pleinier, se séparent à nouveau, ont de subtiles discordances par instant, qui ne sont plus des erreurs, mais des recherches d’effets.

En conséquence, ceci admis, la deuxième voix, ou la troisième, ne peut être le fait que d’un seul caporal qui, pour se faire entendre parmi les quarante-neuf autres voix et pour asseoir son autorité — car toute occasion est bonne — se verra contraint de hurler, parfois d’une voix de fausset.

– Les voix ne se distribuent pas par ordre alphabétique. Il faut tenir compte en premier lieu du registre vocal de chacun. Laisser faire s’il le faut les légionnaires eux-mêmes qui sauront se grouper.

La deuxième voix n’est pas une harmonique strictement parallèle à la première. Il y a des suspensions de l’une ou de l’autre, des réponses, des ralliements sur le plain-chant, suivis d’éclatements.

Par exemple : la chanson “Les cosaques” (chant de bivouac), les trois premières syllabes se chantent d’une seule voix : NOUS AI-MONS, et le VIVRE éclate en trois voix comme un bouquet de joie.

Assez souvent, le couplet ne se chante qu’à une seule voix et c’est au refrain qu’explosent les voix secondaires. Mais il n’y a pas de règle générale, chaque chant fait l’objet d’une rochestration transmise par l’usage et toujours perfectible.

 

Quand se chantent les chants de marche

– En règle générale, au départ du quartier, pour l’exercice, au retour au quartier en fin d’exercice. Ces départs et retours sont toujours précédés d’un rajustement des tenues, d’un alignement strict, d’une courte harangue du chef. La section aura, quand ce sera possible, l’arme sur l’épaule. Les têtes seront hautes, le regard loin devant, les manches bien roulées à mi-biceps, les mains tendues, les sacs impeccablement moulés, les rangers brillantes.

– En déplacement à l’intérieur du quartier, quand cela ne gêne pas la vie générale. En ce qui concerne les venues aux rassemblements, il ne faut pas d’anarchie ni de cacophonie dans la juxtaposition des chants de sections. Il appartient à chaque chef de faire chanter à voix sourdes, ce qui permet d’ailleurs un contrôle efficace des harmonies, au lieu de faire hurler pour écraser les autres sections.

– En déplacement sur le terrain, lorsque le chef le juge utile (reprise en main, dopping, etc.).

– En défilant, sur ordre particulier du commandant. Dans ce cas le chant doit être plus que parfait. Cela suppose un entraînement permanent de la section sur ce plan et l’établissement préalable d’un “chant de compagnie”, et même d’un “chant de bataillon” ou de “régiment”.

 

Prescriptions particulières

Ce qu’il faut faire :

– Choisir avec soin son maître de chant.

– Tenir en réserve un ou deux “donneurs de ton”, en cas d’absence du maître de chant. Le ton est capital.

– S’éloigner d’une section qui chante pour écouter, alors qu’au milieu on ne fait qu’entendre.

– Faire cesser le chant immédiatement sur tout faux départ ou toute perturbation en cours de chant.

– Surveiller l’allure et la cadence. Ne pas laisser s’endormir l’allure. Les quatre-vingt-dix pas minute sont exigés par les chefs de corps pour les défilés. Pour les déplacements de routine ne pas tomber au-dessous de 80/85, sans cela il y aurait une trop grande distorsion entre la vie courante et la parade ; la qualité de cette dernière s’en trouverait affectée.

– Egaliser les voix en permanence. Ne jamais donner dans l’aigu aui a tendance à dominer, surtout chez les jeunes.

– Intimer l’ordre de silence absolu et définitif à tout fausset congénital.

– En dehors des exceptions, vérifier que tous chantent. Celui qui murmure, la tête basse, les yeux fixés sur les rangers, est un mauvais légionnaire, ou tout au moins un légionnaire qui traverse une mauvaise passe. A redresser immédiatement. En revanche, celui qui se donne à fond au chant, se donnera à fond en toute autre chose. Pour autant que sa cervelle soit aussi grosse que son cœur, il fera rapidement un gradé.

– Enfin, donner le départ du chant sur le pied adéquat, qui peut être le droit ou le gauche selon le chant, car la syllabe tonique doit tomber sur le pied gauche. Faire très attention à cela. Exemples de contraires ;

– SOU-venir qui passe… puis-QU’IL nous faut vivre…

Ce qu’il ne faut pas faire en ce qui concerne le chant de marche, ce qui doit être proscrit :

– Les “Oh”, les “Ai”, les “AÏli-Aïlo”, les sifflets et autres borborygmes de liaison. La chanson de Légion est trop dense pour supporter des divertissements de gosier. Rien, mieux que le silence, ne saurait prolonger tel écho ni précéder telle reprise superbe. Le Aio-Aio du chant “Connaissez-vous ces hommes ?” fait partie de la mélodie. Il se chante donc. Celui de “La petite piste” également. En revanche dans le chant “En Afrique” l’interjection hurlée “Aïli-Aïlo” entre “l’alerte est donnée”, et “les souvenirs s’envolent” est une incongruité, parce que les souvenirs ne font pas de bruit en s’envolant.

– Faire crier. On n’est jamais impressionné par une section qui produit en se déplaçant plus de décibels qu’une autre. C’est la qualité, la cohésion, l’allure et l’harmonie qui comptent.

– Transformer un air ou des paroles, pour être original.

– Enfin en conclusion, ne plus oser chanter en rentrant au quartier sous prétexte que cette note est inapplicable.

Capitaine Selosse

8 septembre 1970